Le vendredi 22 août 2008
Vive la Jamaïque
Pierre Foglia
La Presse
Les voyages ne forment pas seulement la jeunesse, les vieux monsieurs aussi. En plus d’apprendre à manger avec des baguettes, ce voyage est en train de m’apprendre l’hymne national de la Jamaïque. Rien qu’hier soir, je l’ai entendu trois fois. Le temps qu’ils remettent la médaille à Bolt pour sa victoire dans le 200 m de la veille, une autre Jamaïcaine, Veronica Campbell-Brown, avait gagné le 200 m féminin.
Un peu plus tard, l’hymne national jamaïcain retentissait pour Melaine Walker dans le 400 m haies. Récapitulons. Sont trois Jamaïcains dans la finale du 100 m remporté par Bolt. Dans la finale du 100 m féminin, non seulement les
Jamaïcaines sont trois aussi, mais elles font un, deux, trois sur le podium.
Bolt devait se sentir orphelin dans la finale du 200 m : il était tout seul de son magnifique et prolifique pays. Mais dans la finale du 200 m féminin, youppi, elles sont à nouveau trois Jamaïcaines, Veronica Campbell-Brown remportant l’or, le bronze allant à Keron Stewart, on les félicite ainsi que leur équipe médico-sportive.
Ce n’est pas fini. En soirée, les Jamaïcains, hommes et femmes, dominaient leur demi-finale respective du relais 4x100, et je ne vois pas ce qui pourrait les empêcher de gagner deux fois l’or ce soir en finale de ces relais. En demi-finale, hier soir, Bolt n’était même pas là !
Si vous comprenez que ceci est une pub pour aller en vacances en Jamaïque, c’est exactement ça. Mettons que vous avez une grand-mère qui ne marche plus, vous l’emmenez un mois en Jamaïque et quand elle revient, elle court comme un lapin. C’est l’air du pays qui fait ça.
Avant que j’oublie, il y a en Jamaïque deux millions et demi d’habitants. Ils vont gagner les six médailles d’or du sprint. On dit rien. On pose pas de questions.
La première question qui vient à l’esprit, évidemment, est celle-ci: est-il exact que les gandes multinationales pharmaceutiques ont installé leurs laboratoires de recherche en Jamaïque? J’ai posé la question à un collègue jamaïcain au village qui m’a répondu ceci: c’est quoi, la deuxième question?
Pour revenir à l’hymne national de la Jamaïque, ce n’est pas un hymne guerrier comme les autres, son refrain va ainsi: Allons courir mon frère, allons courir au bord de la mer et dans les champs d’herbes folles, courons courons l’âme lègère, courons courons des trains d’enfer... C’est quand même moins tôton que «ton front est ceint de fleurons glorieux», non ?
Vive la Jamaïque, Bob Marley, les rastas et la chasse au canard dont Usain Bolt a encore fait la promotion hier soir alors qu’il était sur la plus haute marche du podiumm en tirant en l’air avec son grand fusil imaginaire.
L’HÉCATOMBE – Puisqu’on vient de parler des demi-finales du relais, restons-y, le temps de préciser que les Canadiens se sont qualifiés pour la finale ce soir. Hank Palmer, Anson Henry, Jared Connaughton et Pierre Browne ont couru pour le Canada, qui pourrait très bien surprendre ce soir avec une médaille de bronze...
J’entends mes amis de l’athlétisme s’étonner. Es-tu fou, dans l’état du sprint actuel, le Canada ferait une médaille au relais ?
Le relais, ce n’est pas pareil. Le relais est beaucoup affaire de pratique; quatre coureurs moyens qui se passent le bâton à la perfection peuvent suprendre des champions qui cafouillent dans la zone d’échange. Et les Canadiens ont beaucoup pratiqué avec leur coach nommé tout exprès pour les relais, Glenroy Gilbert.
L’autre raison qui pourrait envoyer les relayeurs canadiens sur le podium ce soir est moins glorieuse: c’est qu’il ne reste plus grand-monde ! Une hécatombe en demi-finales. Les Américains disqualifiés, mais aussi les Nigérians, mais aussi les Polonais, mais aussi les Anglais, tous des gens qui auraient battu les Canadiens.
Bref, derrière les Jamaïcains et les Trinidadiens, la troisième place est ouverte à ce qui reste et ce qui reste, ce sont les Japonais et les Canadiens!
Nombreuses disqualifications chez les filles aussi; les Américaines ont trouvé le moyen d’échapper le bâton, les Françaises ont merdé dans la zone, mais aussi les Ukrainiennes. Bref, les Jamaïcaines sont mortes de rire.
GARY REED – Tout s’est passé comme je l’avais prévu, contrairement à la veille en série, j’ai été patient et me voilà en finale... À l’entendre, Gary Reed s’est qualifié pour la finale du 800m les doigts dans le nez, selon un plan parfaitement exécuté.
Bullshit. Reed est passé à deux tout petits centièmes de se faire sortir. Il s’est qualifié à la photo-finish, par la peau des dents. Un talent fou, explosif, mais difficile à suivre. En finale demain soir, il aura à battre les Kényans, un autre Soudanais que celui qu’on attendait et un étrange Algérien, atypique, au physique de décathlonien.
Cet Algérien est peut-être la grande chance de Gary Reed. Les Kényans voudront l’enfermer dans une course tactique qui donnera l’occasion à Reed de sortir sa pointe de vitesse dans le final...
LE ROI EST MORT – La finale du 400 mètres est la plus attendue après celle du 100m. C’était hier soir, un duel tout américain, Jeremy Wariner contre LaShawn Merritt, le petit nouveau contre le grand patron. Wariner, champion à Athènes, n’avait perdu qu’un 400m en quatre ans, quand il s’est fait accrocher deux fois de suite par Merritt cet été.
Wariner est mauvais perdant, Merritt est baveux. Wariner est cassant, dur, il vient de se séparer de son vieil entraîneur qui l’a mené au sommet pour une question d’argent. Merritt est amusant. Bref, tout le monde était content, hier soir, quand Wariner s’est fait planter, et pas à peu près, par Merritt. Une seconde les séparait.
Content et un peu triste en même temps. C’est toujours un peu triste de voir mourir le roi même s’il était chiant. C’était le roi après tout.
PAS BRILLANT – J’ai le regret de le dire, le Cubain Dayron Robles est un peu con. C’est une grand coureur de haies, le meilleur actuellement. Vitesse, enchaînement, fluididité, il est intouchable et, pour longtemps, et je suis persuadé qu’il aurait battu Liu Xiang, hier soir. Liu Xiang que les Chinois vénèrent tout autant que Yao Ming.
Mais on le sait, Liu Xiang, blessé, s’est retiré en série.
Mais les Chinois avaient leur billet pour la finale du 110 m haies depuis longtemps. Ils étaient là, hier soir, même si Liu Xiang n’y était pas. Ils étaient là avec le sentiment qu’on leur avait volé quelque chose.
Si Robles pensait aussi vite qu’il court, il aurait compris que les Chinois n’étaient
pas venus pour lui. Il n’aurait pas fait toutes ces simagrées à la ligne d’arrivée. Il aurait trouvé un moyen d’évoquer Liu Xiang, de le saluer. S’il avait été malin, au lieu de faire moi, moi, moi à la ligne d’arrivée, il aurait fait le geste de s’excuser.
Et il n’aurait pas eu cet air glacial.
"Oncques ne fauldray...jamais ne faillira"
Homo Platoregimontis