Le mercredi 20 août 2008
Le cul et la mort
Pierre Foglia
La Presse
Pékin
La jeune femme, au look fashion-cocote très étudié, porte une espèce de tutu de danseuse à volants vaporeux superposés qui lui couvre à peine le bonbon. Mais personne ne la regarde. Même pas moi. Je ne regarde plus les filles, je regarde les Chinois qui ne regardent pas les filles. Y m’énarvent, pourquoi ils ne regardent pas les filles ? Je veux savoir, bon. Comment ça marche le cul dans ce pays?
Il m’est venu une drôle de question: est-ce du refoulement politique? Une réminiscence du maoïsme? Il me revient des discussions sur le sexe avec nos maoïstes locaux, à l’époque où il y en avait à la CSN, d’où il ressortait que le sexe était un truc totalement bourgeois. Ce qui ne les empêchait pas d’exulter sans trop de remords, si je me souviens bien. Je pourrais citer des noms.
Anyway, de ce pas je vais rencontrer un Québécois qui vit à Pékin depuis 10 ans. Il habite une tour à cinq minutes du village des médias, il s’appelle Dominic Venne, je ne le connais pas.
Je l’avertis d’entrée : vous allez peut-être me prendre pour un fou ou un obsédé, mais j’ai une question à vous poser, une seule en fait: comment ça marche le cul ici? Au fait, vous êtes marié?
Je me marie cet automne.
Votre blonde est chinoise?
Oui, et toutes les autres avant.
Il a 32 ans, il commence à caler, il ressemble à un beau-frère que j’ai eu dans le temps et qui habitait à Repentigny. Vous ne venez pas de Repentigny par hasard?
Si, comment vous savez?
J’ai un don.
Lui aussi en a un: les langues. Mais lui, c’est pas une farce. Un cas. À 16 ans il apprend l’espagnol, presque sans s’en apercevoir en chantant dans une chorale d’Espagnols. Puis s’en va à Vancouver dans un échange d’étudiants, se fait une blonde chinoise, commence à apprendre le cantonais, se dit: merde, je perds mon temps, le vrai chinois c’est le mandarin, je vais aller l’apprendre à Pékin. Il a 18 ans, 3000$ en poche qu’il a gagnés à Vancouver en travaillant dans une pharmacie.
Je vous ai dit un cas. Mais normal. Famille moyenne, sa mère secrétaire médicale au CHUM, son père électricien au Biodôme. Comme tous les enfants, il voulait être pompier, policier, pilote d’avion, mais il n’aurait pas pu, il est presque aveugle d’un œil. Pour compenser le bon Dieu lui a donné ce don des langues. Il en parle sept en comptant le cantonais, le japonais. Il parle mandarin mieux que la plupart des Chinois, il a été le traducteur de Bourque, celui de Chrétien. Les hommes d’affaires chinois l’emmènent au Québec quand ils vont y discuter contrats, moins aujourd’hui étant lui-même en affaires... Mais je l’ai arrêté tout de suite: ne me dis pas quelles affaires, j’ai lu trop d’articles sur les hommes d’affaires en Chine, c’est comme revoir 50 fois le même foutu documentaire sur l’élevage des lapins en Albanie. Et puis j’te l’ai dit, ce qui m’intéresse, c’est le cul.
Dans le taxi, il s’est mis à parler avec le chauffeur. Mon collègue Simon Drouin et moi on était assis derrière, on s’est regardé, on était quasiment fiers de l’entendre parler chinois. J’ai dit à Simon, quand même, pour un gars de Repentigny. On était beaucoup plus impressionnés que si on était allés (comme on aurait dû) à la finale du trampoline.
Dominic écrit le mandarin tout aussi couramment qu’il le parle, avec les petits dessins et tout. Simon lui a fait écrire Pénélope pour mettre sous la photo de son bébé-fille. On a vérifié après pour voir s’il n’avait pas écrit une niaiserie comme Cunégonde ou Carmelle, on l’a fait lire à des Chinois et des Chinoises après, que lisez-vous ici? Pé-né-lou-peu. Simon était tellement content.
On est allé à une terrasse dans le quartier touristique et pourtant fort agréable du lac Hou Hai et on a fini par parler de cul.
T’es arrivé ici à 18 ans, comment faisais-tu pour exulter?
Rien. Ça se fait tout seul. Aucun problème pour exulter comme tu dis, le seul problème était de trouver des condoms. Ceux d’ici ne sont pas de la bonne taille. Je ne suis pas en train de me vanter, c’est vrai pour tous les Occidentaux, le fait est documenté. Il fallait en faire venir. J’envoyais un courriel à une amie de ma mère qui avait internet. Elle l’appelait: ton fils veut encore de condoms. Cout’donc, disait ma mère, il les vend-tu.
Et cela a continué après l’université?
T’imagines pas. Les Chinois ne sont pas très gentils avec les Chinoises quand il cruisent. Ils sont extrêmement directs, souvent à la limite de la muflerie. Suffit d’être gentil, elles capotent, si j’ose dire.
On est allé manger plein de trucs dans un restaurant où il a ses habitudes, dont le plat préféré de Mao, du bœuf servi avec des grosses gousses d’ail.
Il nous a raccompagnés à notre village avec l’idée de le visiter, s’est présenté à l’entrée réservée aux visiteurs où une jeune femme nous a donnés des formulaires à remplir. Il s’est mis à parler avec elle, et Simon m’est témoin, on l’a vue fondre aussitôt.
Que lui as-tu dit?
Rien, j’étais juste gentil.
Imaginez la vie trépidante que j’aurais eu ici, moi qui suis le plus gentil des chroniqueurs de l’hémisphère nord.
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Avant de vous parler du plongeon où j’étais hier soir, petit intermède gastronomique. Nous avons demandé à Dominic ce qu’il avait mangé de plus bizarre en 10 ans de Chine. Sa réponse...
Des bébés rats à peine nés. C’est un truc qui se mange à Canton... où il est possible de manger à peu près n’importe quoi. En chinois le plat se dit «les trois cris». Le premier cri quand le bébé rat naît. Le second quand on le jette dans l’huile. Le troisième quand on le met en bouche et qu’on croque.
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Le grand plongeon
Un plongeon parfait est un plongeon difficile, mais si bien exécuté qu’il a l’air facile. Il en va du même principe dans tous les sports de représentation: gymnastique, nage synchro, patinage artistique. On pourrait dire qu’il en va de même dans les arts, les danseurs ne doivent pas avoir l’air de danser et les écrivains d’écrire.
La différence c’est que son œuvre exécutée, le plongeur, lui, disparaît. C’est la finalité finale de son geste: disparaître. En cela le plongeon est bien plus près de la vie. Je veux dire de la mort.
Tous les sports, tous les arts visent à la perfection. Le plongeon, en plus, nous dit ce qu’est la perfection : c’est disparaître sans laisser de trace.
C’est bien ce que je vous disais juste avant: le plongeon nous enseigne à mourir.
Quand on meurt, tout de suite après le grand plongeon, là où on arrive en s’ébrouant comme les plongeurs qui ressortent de l’eau, sept juges nous notent sur les pirouettes qu’on a faites dans la vie, et multiplient par le quotient de difficulté, très important le quotient de difficulté. Il fait toute la différence.
On est noté sur le splash, le remous, la broue qu’on laisse en sortant.
Une vie parfaite est celle qui ne fait pas de splash. Les plus humbles, les plus effacés, ceux-là qui auront traversé la vie comme un couteau entre dans l’eau sans faire de splash, ceux-là auront des 10.
source
"Oncques ne fauldray...jamais ne faillira"
Homo Platoregimontis