message posté le 20 nov 2007 à 22h01
Les Îles-de-la-Madeleine coupées en deux?
François Cardinal
La Presse
D'ici cinq ans, un important lien unissant les Îles-de-la-Madeleine pourrait disparaître sous l'effet des changements climatiques. La douceur des hivers et l'intensité des tempêtes menacent en effet de couper l'archipel en deux, isolant du coup les îles de l'Est.
Les scientifiques craignent que l'érosion des berges, qui a atteint cette année un sommet historique, ait raison de la dune du Nord, a appris La Presse. Or cette plage longue de 33 km constitue l'unique lien physique entre les îles du centre et celles de l'Est.
«C'est le pire cauchemar que l'on puisse imaginer, a lancé en entrevue le maire des Îles, Joël Arseneau. S'il devait se créer une brèche dans la dune du Nord, il serait carrément impossible de la colmater.»
L'inquiétude du maire est notamment alimentée par les données préliminaires d'un rapport à paraître début 2008, signé par le consortium scientifique Ouranos, ainsi que les plus récents relevés faits dans le secteur reliant l'île du Cap-aux-Meules à la Grosse-Île, en passant par Pointe-aux-Loups.
On note qu'en raison de la douceur des hivers dans le golfe du Saint-Laurent, les berges ont perdu beaucoup de terrain au cours des 10 dernières années. La formation de la glace étant de plus en plus tardive, celle-ci ne joue plus son rôle de protection du littoral. Conséquence: les vagues déferlent directement sur les berges nues.
«Lors des tempêtes hivernales, les vagues sont très fortes, ce qui crée une importante érosion, précise Guglielmo Tita, directeur scientifique du Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes de l'Université du Québec à Rimouski. Si les tendances se poursuivent, le risque est donc grand que la dune du Nord s'ouvre à relativement court terme.»
Lors d'un colloque municipal tenu à Beaupré vendredi, le maire Arseneau a été plus précis, soutenant qu'une telle éventualité pourrait survenir dans cinq ou six ans. Du coup, c'est le seul lien routier qui relie le secteur de l'île de Grande-Entrée et de Grosse-Île au reste de l'archipel qui est menacé de disparition.
«En d'autres termes, c'est quelque 1200 habitants sur 13 000 qui se retrouveraient isolés, se désole le maire. Vous imaginez l'impact. Il s'agit déjà d'une région dévitalisée.»
Le réchauffement de la planète est montré du doigt par tous les scientifiques qui travaillent dans la région du Golfe. Il serait directement responsable de l'adoucissement des hivers, mais aussi de la plus grande fréquence et de la plus grande intensité de certains types de tempêtes qui s'attaquent aux rives.
En outre, il provoquerait une lente montée du niveau des eaux, phénomène d'autant plus important que les Îles-de-la-Madeleine s'affaissent tranquillement dans la mer depuis la dernière glaciation.
«Tout cela est directement associé aux changements climatiques, confirme Serge Demers, océanographe et président de l'Observatoire global du Saint-Laurent. Cela nous prouve que les modèles prédictifs qu'on utilisait dans le passé n'étaient pas adéquats: tout va plus vite que prévu.»
Même son de cloche du côté de la géologie marine. «Tout cela pourrait se poser sans les changements climatiques. Seulement, ces derniers exacerbent le problème», observe Urs Neumeier, de l'Institut des sciences de la mer de Rimouski.
Ainsi, entre 1996 et 2006, les études montrent que l'érosion a augmenté de façon «significative». «En fait, le taux d'érosion actuel est le plus important jamais observé», selon Guglielmo Tita.
Y a-t-il une façon de contrer le problème, d'éviter qu'une telle brèche n'apparaisse ou, à tout le moins, de s'adapter aux changements en cours? Oui, et c'est d'ailleurs ce sur quoi les chercheurs d'Ouranos travaillent actuellement. Mais rien ne prouve que cela protégera pour de bon la dune du Nord, la plus vulnérable aux changements climatiques.
La municipalité des Îles-de-la-Madeleine a d'ailleurs fait une demande au ministère québécois de la Sécurité publique, le 31 octobre dernier, pour que son territoire soit retenu dans le cadre du programme de prévention et d'atténuation des risques naturels.
«Mais si la séparation routière se fait néanmoins, il faudra envisager l'implantation d'un transport maritime ou encore la construction d'un pont», précise Guglielmo Tita.
Pour joindre notre journaliste francois.cardinal@lapresse.ca
Les Îles devront-elles importer du sable?Comble de l'ironie: malgré ses 300 km de plage, les Îles-de-la-Madeleine pourraient un jour devoir importer du sable
De plus en plus de scientifiques estiment en effet que l'enrochement auquel s'adonne le ministère des Transports pour contrer le problème ne serait pas une solution viable à long terme. Pour contrer l'érosion des berges, ils proposent plutôt le «rechargement de sable», soit l'ajout de grandes quantités de sable là où nécessaire.
La question qui se pose: où trouver du sable lorsque, justement, les dunes disparaissent?
Selon le maire Joël Arseneau, la solution réside dans le fond de l'eau. Située aux Îles, la seule mine de sel du Québec doit draguer aux cinq ans le chenal maritime qui mène à ses installations. Chaque fois, c'est quelque 300 000 m3 de sédiments qui sont ainsi récupérés et jetés plus loin en mer.
«Nous pensons que ce sable pourrait être mieux utilisé là où on en a besoin, soutient le maire. Certes, cela serait coûteux, mais beaucoup moins que la construction d'un pont en lieu et place de la dune du Nord.»
Et si les autorités, tant fédérale que provinciale, refusent de contribuer financièrement à une telle opération? La Ville pourrait toujours importer du sable
Cette hypothèse n'a rien de farfelu, puisque le maire Arseneau l'a évoquée, mais pour la construction de routes, lors d'un colloque.
ÎLES-DE-LA-MADELEINE
Population : 12 573 habitants
Superfice: 202 km2
Cordon dunaire: 60 km2
Nombre d'îles: 15
Nombres d'îles habitées: 8
François Cardinal
La Presse
D'ici cinq ans, un important lien unissant les Îles-de-la-Madeleine pourrait disparaître sous l'effet des changements climatiques. La douceur des hivers et l'intensité des tempêtes menacent en effet de couper l'archipel en deux, isolant du coup les îles de l'Est.
Les scientifiques craignent que l'érosion des berges, qui a atteint cette année un sommet historique, ait raison de la dune du Nord, a appris La Presse. Or cette plage longue de 33 km constitue l'unique lien physique entre les îles du centre et celles de l'Est.
«C'est le pire cauchemar que l'on puisse imaginer, a lancé en entrevue le maire des Îles, Joël Arseneau. S'il devait se créer une brèche dans la dune du Nord, il serait carrément impossible de la colmater.»
L'inquiétude du maire est notamment alimentée par les données préliminaires d'un rapport à paraître début 2008, signé par le consortium scientifique Ouranos, ainsi que les plus récents relevés faits dans le secteur reliant l'île du Cap-aux-Meules à la Grosse-Île, en passant par Pointe-aux-Loups.
On note qu'en raison de la douceur des hivers dans le golfe du Saint-Laurent, les berges ont perdu beaucoup de terrain au cours des 10 dernières années. La formation de la glace étant de plus en plus tardive, celle-ci ne joue plus son rôle de protection du littoral. Conséquence: les vagues déferlent directement sur les berges nues.
«Lors des tempêtes hivernales, les vagues sont très fortes, ce qui crée une importante érosion, précise Guglielmo Tita, directeur scientifique du Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes de l'Université du Québec à Rimouski. Si les tendances se poursuivent, le risque est donc grand que la dune du Nord s'ouvre à relativement court terme.»
Lors d'un colloque municipal tenu à Beaupré vendredi, le maire Arseneau a été plus précis, soutenant qu'une telle éventualité pourrait survenir dans cinq ou six ans. Du coup, c'est le seul lien routier qui relie le secteur de l'île de Grande-Entrée et de Grosse-Île au reste de l'archipel qui est menacé de disparition.
«En d'autres termes, c'est quelque 1200 habitants sur 13 000 qui se retrouveraient isolés, se désole le maire. Vous imaginez l'impact. Il s'agit déjà d'une région dévitalisée.»
Le réchauffement de la planète est montré du doigt par tous les scientifiques qui travaillent dans la région du Golfe. Il serait directement responsable de l'adoucissement des hivers, mais aussi de la plus grande fréquence et de la plus grande intensité de certains types de tempêtes qui s'attaquent aux rives.
En outre, il provoquerait une lente montée du niveau des eaux, phénomène d'autant plus important que les Îles-de-la-Madeleine s'affaissent tranquillement dans la mer depuis la dernière glaciation.
«Tout cela est directement associé aux changements climatiques, confirme Serge Demers, océanographe et président de l'Observatoire global du Saint-Laurent. Cela nous prouve que les modèles prédictifs qu'on utilisait dans le passé n'étaient pas adéquats: tout va plus vite que prévu.»
Même son de cloche du côté de la géologie marine. «Tout cela pourrait se poser sans les changements climatiques. Seulement, ces derniers exacerbent le problème», observe Urs Neumeier, de l'Institut des sciences de la mer de Rimouski.
Ainsi, entre 1996 et 2006, les études montrent que l'érosion a augmenté de façon «significative». «En fait, le taux d'érosion actuel est le plus important jamais observé», selon Guglielmo Tita.
Y a-t-il une façon de contrer le problème, d'éviter qu'une telle brèche n'apparaisse ou, à tout le moins, de s'adapter aux changements en cours? Oui, et c'est d'ailleurs ce sur quoi les chercheurs d'Ouranos travaillent actuellement. Mais rien ne prouve que cela protégera pour de bon la dune du Nord, la plus vulnérable aux changements climatiques.
La municipalité des Îles-de-la-Madeleine a d'ailleurs fait une demande au ministère québécois de la Sécurité publique, le 31 octobre dernier, pour que son territoire soit retenu dans le cadre du programme de prévention et d'atténuation des risques naturels.
«Mais si la séparation routière se fait néanmoins, il faudra envisager l'implantation d'un transport maritime ou encore la construction d'un pont», précise Guglielmo Tita.
Pour joindre notre journaliste francois.cardinal@lapresse.ca
Les Îles devront-elles importer du sable?Comble de l'ironie: malgré ses 300 km de plage, les Îles-de-la-Madeleine pourraient un jour devoir importer du sable
De plus en plus de scientifiques estiment en effet que l'enrochement auquel s'adonne le ministère des Transports pour contrer le problème ne serait pas une solution viable à long terme. Pour contrer l'érosion des berges, ils proposent plutôt le «rechargement de sable», soit l'ajout de grandes quantités de sable là où nécessaire.
La question qui se pose: où trouver du sable lorsque, justement, les dunes disparaissent?
Selon le maire Joël Arseneau, la solution réside dans le fond de l'eau. Située aux Îles, la seule mine de sel du Québec doit draguer aux cinq ans le chenal maritime qui mène à ses installations. Chaque fois, c'est quelque 300 000 m3 de sédiments qui sont ainsi récupérés et jetés plus loin en mer.
«Nous pensons que ce sable pourrait être mieux utilisé là où on en a besoin, soutient le maire. Certes, cela serait coûteux, mais beaucoup moins que la construction d'un pont en lieu et place de la dune du Nord.»
Et si les autorités, tant fédérale que provinciale, refusent de contribuer financièrement à une telle opération? La Ville pourrait toujours importer du sable
Cette hypothèse n'a rien de farfelu, puisque le maire Arseneau l'a évoquée, mais pour la construction de routes, lors d'un colloque.
ÎLES-DE-LA-MADELEINE
Population : 12 573 habitants
Superfice: 202 km2
Cordon dunaire: 60 km2
Nombre d'îles: 15
Nombres d'îles habitées: 8