Le vendredi 15 août 2008
Ça s'en vient!
Pierre Foglia
La Presse
Pékin
Hé! non, toujours pas de médaille. Demain, la première médaille. Demain. Promis. Je peux même vous dire qui: David Calder et Scott Frandsen dans le deux de pointe masculin. C'est de l'aviron. Et dimanche, alors là dimanche, un déluge de médailles, trois, peut-être quatre, peut-être même cinq, en aviron toujours.
Là, vous êtes contents? Vous n'avez plus honte? Vous allez enfin pouvoir vous agiter du drapeau?
N'empêche, si j'étais athlète, je me paierais drôlement votre tête. Je vous dirais: je m'appelle Mike Andrew Brown, c'est moi qui n'ai pas gagné la médaille d'argent comme prévu, ce matin, au 200 mètres brasse, je m'excuse, avoir su que le 200 mètres brasse vous passionnait à ce point, j'aurais fait un effort...
Jusqu'ici du moins, ces jeux sont les mieux organisés de tous ceux que j'ai couverts. Je vous parle de l'intendance, du déroulement des compétitions, de la gentillesse des hôtes, de leur efficacité, de la sécurité vraiment pas tatillonne, je vous parle aussi de tout ce qui devait arriver et n'est pas (encore) arrivé, notamment les manifestations des emmerdeurs sans frontières.
Il ne manque qu'un peu de soleil. D'un point de vue purement météorologique, ce sont des jeux complètement ratés. Soit il pleut à verse comme aujourd'hui, soit il grisouille, et cela finit par tomber sur le moral. Paraît que ce n'est pas juste à Pékin, paraît que vous aussi. Ma fiancée vient de me dire que dans mon propre jardin les poireaux sont en train d'apprendre à nager.
Pour revenir à Pékin, l'ambiance est résolument sportive. C'est bien la moindre des choses, direz-vous, dans une ville olympique, pendant les Jeux. Pas du tout. Habituellement, les habitants des grandes villes olympiques la quittent pour avoir la paix et faire du fric en louant leur maison aux touristes. Ici, où voulez-vous qu'ils aillent? Ils sont rivés à leur télé depuis la cérémonie d'ouverture. Basket, gymnastique, volley, ils s'intéressent à tout. Dans le métro l'autre jour - ils ont la télé dans le métro - tout le wagon avait les yeux rivés sur un match de foot de filles. Faut vraiment être dans le métro pour regarder un match de foot de filles.
Je sortais de l'haltérophilie, une télé dans la vitrine d'un marchand de scooters donnait le match de basket Chine-Espagne. C'était l'heure de la sortie des bureaux, les employés de la banque de Chine voisine s'agglutinaient devant l'écran, il y eut bientôt une cinquantaine de personnes sur le trottoir qui ne voulaient pas manquer la fin du match avant d'aller prendre le métro justement. La Chine a perdu de justesse, le mécontentement s'exprimait en petits grognements dépités, ils ne huent pas, ils éructent.
Ambiance résolument sportive, disais-je. Qui c'est qui gagne? Qui c'est qui perd? Le décompte des médailles. Un très fort sentiment national, mais pas encore le chauvinisme annoncé.
Et la fête dans tout cela? Zéro fête. Totalement absente de l'espace public. Rien de festif nulle part. Ce n'est pas le party olympique qui ne lève pas. Les Chinois ne font tout simplement pas de party.
Comment ils s'amusent alors?
Je ne sais pas.
Ont-ils au moins de l'humour?
Énormément. Ils adorent se raconter des histoires. Presque toutes commencent par: une fois c't'un Tibétain...
Le poids des choses
Vous connaissez sans doute l'histoire: une semaine avant les essais, le nageur américain Eric Shanteau apprend qu'il a un cancer des testicules, il gagne pourtant sa place sur l'équipe et décide d'aller aux Jeux avec l'accord des médecins. L'opération se fera à son retour, un mois plus tôt ou plus tard, cela ne changera rien. Pourquoi pas les Jeux en effet.
Dans cette équipe américaine de natation très soudée, Shanteau et Phelps se côtoient tous les jours. Allo Eric. Allo Michael. Phelps est décidément comblé. Ses médailles d'or. Ses records du monde. Et ce Shanteau pour les mettre en perspective, pour lui faire penser, par sa seule présence, au poids réel des médailles et des records. Au poids réel des choses.
Shanteau s'est fait sortir en demi-finales de son épreuve (le 200 brasse). Depuis deux jours, le voilà avec plus rien à faire, le voilà avec son cancer des couilles dans la tête, je veux dire à y penser tout le temps.
J'apporte en voyage toujours le même petit livre de poésie d'Anne Hébert. Je l'ouvre brièvement avant d'éteindre. Hier soir, il s'est ouvert sur ce poème de cinq vers: L'épouvante a des pattes de velours/Tapie aux quatre coins de la chambre/elle se déplace avec l'ombre envahissante/Ayant pour cible le coeur qui s'obscurcit/Elle gagne ses quartiers pour la nuit.
Mode d’emploi
C'est la seconde fois que cela se produit. Je suis allé manger un truc sur le pouce dans ce quartier que j'aime bien, je paie, je laisse un tip sur la table, je sors, la serveuse me rejoint avec mon tip: elle n'en voulait pas. La première fois j'étais avec mon collègue Stéphane, même scène, la fille nous a rattrapés dehors.
C'est pour vous mademoiselle. Elle n'en voulait vraiment pas. Protestations accompagnées de cet air très bête qu'ils peuvent avoir parfois.
Ce qui me frappe ici, c'est l'absence totale d'exotisme, le sentiment que les gens dans le métro, dans la rue sont exactement comme moi, je veux dire dans les plus petits détails domestiques. Puis il y a cette serveuse qui me court après pour mon rendre mon tip dans la rue et je me dis que ça me prendrait peut-être quand même un mode d'emploi!
Les chiffres
On vous l'a dit? Les Chinois sont un milliard et 300 millions, mais ça c'était avant la cérémonie d'ouverture. Depuis ils doivent bien être 1 milliard 400 millions.
En Chine tous les chiffres sont effarants. Par exemple, il y aurait en Chine 37 millions de putes. C'est plus que la population du Canada.
Vous imaginez un Canada peuplé uniquement de putes? Ça sonne à la porte? Tu te dis: tiens, ça doit être des Témoins de Jéhovah; ben non, c'est une pute qui s'est trompée d'étage. Tu fais venir une pizza, c'est une pute qui la livre. T'ouvres la télé, c'est une pute qui lit le bulletin d'information. Le nouveau président de la Chambre de commerce? Une pute. L'ancien en était une aussi d'ailleurs. Le feu pogne chez vous? Pin-pon, pin-pon, cool, les pompiers sont déjà là, mais non, c'est pas des pompiers, c'est des putes qui arrivent, mignonnes comme tout, en tutu avec un casque.
Des élections à l'automne? Ça, ça ne changerait pas.
"Oncques ne fauldray...jamais ne faillira"
Homo Platoregimontis